On ne savait plus quoi penser de Lupe Fiasco. Après deux brillants premiers albums au succès critique comme commercial, il se ramasse à plat ventre sur les deux suivants. Après ses discours de rappeur conscient plein de lucidité et d’intelligence, sa liberté d’expression se perd des propos qui ne tiennent pas la route, quelques petits coups de gueule et autres prises de bec sur Twitter qui le font passer pour un personnage soupe-au-lait. Complètement perdu dans sa tête.
Une nappe de brume entourait l’arrivée de cet énigmatique 5e album baptisé Tetsuo & Youth. On avait une idée des producteurs mais sur le plan créatif, c’était le grand point d’interrogation. D’autant plus que l’album ne s’inspire pas du tout du chef d’oeuvre Akira, simplement le personnage de Tetsuo pour son côté regel. Les choses sont devenus plus étranges lorsque les Anonymous sont même monté au créneau pour réclamer sa sortie dans les plus brefs délais. Pas bon signe connaissant les tensions entre le rappeur et sa maison de disque Atlantic (officiellement, un seul single est sorti fin Janvier), mais une conséquence bienvenue ; une date programmée pour Janvier 2015.
Alors qu’on s’attendait à rien de particulier, Tetsuo & Youth s’avère être une redécouverte de Lupe Fiasco. Le rappeur de Chicago a repris la direction artistique en main et ça se voit. Structurellement, ce 5e album est découpé en saisons, et dans chacune des trois « intersaisons » s’étendent des univers musicaux un peu différents. Trois morceaux dépassent les huit minutes (!). Les deux premiers tiers de l’album, de l’été à l’hiver, sont produits par S1 (Strange Fruit Project, Kanye West,…), l’australien M-Phazes, DJ Simonsayz, MoeZ’Art (paie ton blaise) et The Buchanans, qui lancent Tetsuo & Youth avec « The Mural« , une course-de-fond de huit minutes sur un sample de piano lancinant de Cortex s’il-vous-plaît. De la poésie, du verbe, un flow virevoltant et dynamique, voilà le Lupe qu’on attendait depuis des lustres ! Son goût pour les beats très mélodiques n’ont pas changé (« Blur My Hand« ), ni pour les lyrics riches en métaphores comme le démontre « Dots & Lines« , dessinant des formes géométriques sur des jolis airs asiatiques.
Le second morceau du disque est plus axé sur la psychologie et les sentiments – attention j’ai pas dit « émotions », à commencer par « Prisoners« , dont la première partie utilise une sample de « Believe Me » de Fort Minor, contrastant avec une seconde partie plus dure. « Little Death » (avec la chanteuse Nikki Jean) est un triptyque qui traite de différents sujets tandis que « Body Of Work » parle de trafic de drogue. Superbe finish au sax’ de Terrace Martin peut-on signaler.
Changement de décor pour la partie Hiver-Printemps. DJ Dahi (Dom Kennedy, Schoolboy Q, Tinashe…) prend la main sur les prods, changement totale d’ambiance, et d’image. Sur « Chopper« , Lupe amène une bande de voyous avec lui : Trouble, Billy Bue, le texan Trae Tha Truth, Glasses Malone de Californie et Fam-Lay, le talent gâché de Star Trak (à votre bon souvenir). Une attitude de gangstasans être gangsta qui casse son image de nerd. Lupe Fiasco a toujours été un rebel-intello, une personne complexe, sur ce point il ne change pas. « Madonna » semble très inspiré du style de productions de My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West. Pour revenir sur des sujets plus sociaux, « Deliver » (avec la voix de Ty Dolla $ign) raconte pourquoi les ghettos de sont de plus en plus désertés par les services et les commerces. L’intimiste « Adoration of the Magi » avec ces cuivres molletonnés réussit un autre tour de magie, avec un refrain qui cache de véritables références rap (merci rapgenius d’avoir découvert le « truc »). Mon morceau préféré avec « Chopper » et « Mural« .
La dernière chanson s’appelle « They.Reminisce.Over.New » et ça rappelle une petite histoire. Plus de vingt ans après « They Reminisce Over You (T.R.O.Y). » de Pete Rock & CL Smooth, Lupe avait tenté de faire une reprise de ce morceau que Pete Rock avait qualifié de wack. (le titre était « Around My Way » sur son précédent album). Cette fois il réalise sa propre version « They Resurrect Over New » avec Ab-Soul, pour faire T.R.O.N., comme le film de science-fiction de Disney où le héros est projeté dans un univers digital. C’est le moment de souligner la remarquable adaptation de Lupe Fiasco au rap d’aujourd’hui, en conservant son style très personnel. Le choix de S1 et DJ Dahi comme principaux producteurs, qui offre ici ses meilleurs instrus à ce jour, est au bout du compte extrêmement judicieux.
Les morceaux de Tetsuo & Youth sont conçus comme des oeuvres d’art et c’est une des raisons pour lesquelles le concept de l’album est compliqué à cerner après une dizaine d’écoute. Il manque comme un film conducteur, un storytelling. C’est un reproche qui n’entame en rien la qualité incroyable de cet album, celle de ce rappeur smartqui a pavé le chemin de mecs comme J. Cole, Logic, Wale ou encore Kendrick Lamar. On contemple chaque titre comme on passe devant des tableaux d’une exposition. C’est comme s’il n’avait jamais sortiLasers et Food & Liquor II. Autrement dit, son meilleur album de Lupe depuis The Cool.
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