Premiers pas dans le rap, premier album, premier classique. Un Classique parmi les classiques Hip Hop, il n’y a pas d’autres nobles mots qui existent pour définir ce chef d’oeuvre qu’est Illmatic. Ce véritable génie de la narration qu’est Nasir Jones alias Nas, a placé la barre vraiment très, très haut, avant même que Notorious BIG ou Jay-Z furent signés en major. Difficile de trouver qui à l’époque était en mesure de l’égaler, peut-être le maître de la rime Rakim d’un point de vue lyrical.
Ce monument né le 19 Avril 1994 dans les projects du Queens de Long Island n’aurait jamais pu voir le jour si MC Serch des 3rd Bass, son producteur éxécutif, ainsi que Kool G Rap, n’avaient pas fait un peu de forcing pour que le jeune surdoué de 20 ans puisse signer chez Columbia. Illmatic ne serait guère non plus cette Bible Eastcoast si les producteurs renommés de la Golden Era, à savoir les légendes vivantes que sont aujourd’hui DJ Premier, Large Professor, Q-Tip, L.E.S et Pete Rock, n’y avaient pas participé à sa création.
À sa sortie, cet album n’a pas réalisé des scores de ventes mirobolants (12e au Billboard 200), mais il a profondément marqué les rues new-yorkaises et les mentalités dans le rap de manière irréversible. Chose extraordinaire, The Source lui avait décerné suite à leur chronique un ’5 mics’, la note suprême pour la première fois de l’histoire du magazine rap américain. Et encore de nos jours, Illmatic demeure une référence en matière de Hip-Hop, tous les critiques et les magasines vous le diront. Personne n’imaginait à cet instant, pas même ses auteurs, que ces dix-titres allaient signifier un modèle d’art et de perfection à tous les égards.
“Street’s disciple, my raps are trifle/ I shoot slugs from my brain just like a rifle/ Stampede the stage, I leave the microphone split/ Play Mr. Tuffy while I’m on some Pretty Tone shit [...]”
Commençons par ses rimes, tirées de sa toute première apparition officielle, sur le titre – devenu indirectement fameux par son biais – "Live at the Barbecue" des Main Source en 1991 (extrait de leur album Breaking Atoms). Il avait 17 ans à peine. AZ chille à ses côtés sur cet instru, on reconnaît aussi un extrait audio du thème de Wildstyle. Ce sont ces morceaux que l’on entend en musique fond sur l’introduction "The Genesis", les premières majuscules de l’illustre carrière de Nas.
"Rappers I monkey flip em with the funky rhythm I be kickin
Musician, inflictin composition
of pain I’m like Scarface sniffin cocaine
Holdin a M-16, see with the pen I’m extreme [...]"
Voici les quatres premières rimes de l’anthologique "NY State of Mind", la seconde piste d’Illmatic et premier morceau de l’album. Le beat produit par DJ Premier, dont la réputation à l’époque n’est plus à faire pour son travail avec Gangstarr, est magistral, imposant, avec cette boucle de piano hypnotique magnifiquement exploitée pour créer une ambiance street rarement égalée. Il suffit de fermer les yeux et d’écouter avec ses deux oreilles, une l’intru, l’autre les lyrics, pour se voir arpenter les quartiers de New York au milieu des années 90. S’il faut citer une des chansons de Nas par excellence, ce mythe en fait bien partie tellement l’alchimie entre Primo et Nas est forte. Serch racontait à leur sujet qu’ils ont dû être séparés à la naissance.
AZ, originaire de Brooklyn, est l’unique featuring d’Illmatic. Et il lui a suffit d’un seul refrain – que l’on connaît tous par coeur – aux côtés de Nas pour qu’il soit révélé au grand jour parmi les meilleurs lyricistes de la Grande Pomme : “Life’s a bitch and then you die; that’s why we get high/ Cause you never know when you’re gonna go.” Les deux MCs font part du désespoir des habitants des banlieues pauvres en une phrase devenue célèbre dans le rap. La production signée L.E.S. apporte un côté laid-black grâce à ce sample de "Yearning for your Love" des Gap Band. Nas donne le ‘la’ avec son flow impressionnant, en lâchant des rimes superbement écrites, capable de décrire le quotidien des miséreux en une ligne comme par exemple : “I switched my motto/ instead of sayin fuck tommorrow/ That buck that bought a bottle could’ve struck the lotto”. Les notes de cuivres jouées à la fin du titre sont de Olu Dara Jones, le père musicien de Nas.
Autre producteur de renom, Pete Rock, nageant en plein succès avec son acolyte CL Smooth en ce temps-là, offre une touche de soul/jazz sur "The World Is Yours". C’est lui d’ailleurs qu’on entend chanter sur le refrain. Nas en place pour son homie Ill Will, son meilleur ami tué en 92. Un autre grand classique de Nas. On regrette que les deux artistes soient en froid.
"Halftime" est, de par son intitulé, judicieusement situé à mi-parcours de Illmatic. C’est une track importante dans la carrière de Nas car il s’agit de son premier maxi sorti courant de l’année 92, extrait de la bande-son de Zebrahead réalisée par MC Serch. Ce sans-faute verbal produit par Large Professor forçait déjà la comparaison avec le Dieu, Rakim. En plus d’être l’un des plus doués de sa génération, Nas était déjà un grand de ce monde. "I’m like Malcolm X catchin’ Jungle Fever".
"I rap for listeners, blunt heads, fly ladies and prisoners
Hennessy holders and old school niggas, then I be dissin a
Unofficial that smoke woolie thai
I dropped out of Cooley High, gassed up by a cokehead cutie pie
Jungle survivor, fuck who’s the liver
My man put the battery in my back, a difference from Energizer
Sentence begins indented, with formality
My duration’s infinite, money-wise or physiology
Poetry, that’s a part of me, retardedly bop
I drop the ancient manifested hip-hop, straight off the block
I reminisce on park jams, my man was shot for his sheep coat
Childhood lesson made me see him drop in my weed smoke [...]"
2e symbiose exceptionnelle entre flow et instrumental avec Premier. Sur le plan des lyrics, "Memory Lane" est incontestablement l’un des plus beaux textes de Nas, très introspectif. Son talent d’écriture très rare se lit au travers de descriptions réalistes riches en métaphores. Ajoutez à ce morceau un refrain scratchant du Biz Markie, un clin d’oeil à Craig G et le compte est bon.
Après Primo et Pete Rock, au tour de Q-Tip, des Tribe Called Quest, de léguer sous sa casquette de producteur une touche Native Tongues sur "One Love". Cette track est en réalité une lettre destinée à un prisonnier, et pas n’importe lequel puisqu’on apprendra plus tard que ces paroles étaient pour Cormega, avec qui il était proche à l’époque avant de s’embrouiller à cause de la formation du groupe The Firm.
Retour aux choses sérieuses avec le mentor Large Professor. "One Time 4 Your Mind" a un beat plus martelant, deux couplets egotrips de Nas aux jeux de mots intelligents. S’ensuit "Represent" produit par DJ Premier, de nouveau une association magique. Cet avant-dernier titre de rassemblent au refrain fédérateur s’achève sur une immense dédicace. La conclusion parfaite de Illmatic est augurée par Large Professor avec "It Ain’t Hard To Tell", sur un sample reconnaissable de "Human Nature" de Michael Jackson. Aucun refrain, juste un texte récité par un flow d’une justesse absolue. Nas enfonce le clou une bonne fois pour toute de cet authentique classique.
Que dire de ce concentré de talent fou… IllMatic est une oeuvre verbalement conjuguée au plus que parfait. Absolument indispensable dans toute les bonnes discothèques Hip-Hop/Rap, dans sa version originale ou alors la reédition 10th Years Anniversary de 2004 contenant des remixes signés Rockwilder et Nick Fury, "On The Real" et "Star Wars" respectivement produits par Marley Marl et Large Pro.
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